Etes-vous prêts à retourner un peu au Cap Vert, après être allés sur Fogo (voir carnet 1) ? Alors, partons sur l’île de Brava, sa petite voisine : une île du bout du monde, la plus petite parmi celles qui sont habitées dans l’archipel du Cap Vert et la plus occidentale des îles « Sotavento » (sous le vent). Elle ne compte que 5 000 habitants pour 67 km² et 9 km de long. Une île dans son ensemble la plus montagneuse de l’archipel, au relief très accidenté. Elle tient son nom de sa nature sauvage, « brava ».C’est l’île des départs et des hibiscus. Vue de loin, depuis Fogo, elle a l’air d’un cachalot qui folâtre avec ses petits, les quatre ilots inhabités qui la côtoient et sur lesquels on peut aller pêcher.
Trekking au Cap-Vert de 2 semaines (Mai 2011) raconté par LNTT
Si Brava n’est qu’à 20 km de Fogo, sa grande sœur, ce fut, pendant longtemps, pas une mince affaire que d’aller de l’une à l’autre. Brava est pour certains un refuge, loin des yeux du monde, ultime étape avant d’affronter l’océan menant vers l’Amérique. Pendant des années, aller à Brava a dépendu d’un océan capricieux et de ses humeurs. Ce n’est que depuis toute fin 2010 qu’une liaison maritime régulière « fast ferries » a été mise en place avec Fogo et Santiago, et encore ces navires rapides ne sont-ils pas à l’heure, souvent… Auparavant, tout se passait au bon vouloir des vagues et des courageux bateaux qui effectuaient la traversée à partir de Fogo.
Découverte au milieu du XVe siècle, Brava est restée longtemps déserte. Elle a véritablement commencé à se peupler à la fin du XVIIe lorsqu’une partie des habitants de l’île de Fogo dut quitter celle-ci à cause d’une violente éruption du volcan Pico.
Ensuite, les ressources limitées de l’île et l’offre de travail sur les navires baleiniers américains ont conduit fin XVIIe à une forte immigration vers les Etats-Unis, qui s’est encore renforcée au début du XXe siècle avec la demande de main d’œuvre des usines de Nouvelle-Angleterre.
On ne peut pas comprendre Brava sans faire référence aux liens qui l’unissent à sa diaspora. Pour les habitants de cette île, il y a peu encore, l’émigration était une impulsion, une fenêtre sur le monde, un avenir possible our ceux qui tentaient l’aventure du départ et qui remettaient en question une hiérarchie sociale figée, liée à la colonisation et déterminée par la couleur de peau. Tandis que certains ont tout abandonné pour tenter leur chance bien loin, ceux qui sont restés au pays ont compté les mois pour avoir un signe de vie… C’est la « morna » : la désolation de ceux qui restent, la nostalgie du pays de ceux qui partent. C’est sur Brava, tout particulièrement, je trouve, que l’on comprend toute l’essence de cette musique.
Le tout petit port de Brava, Furna, est difficile d’accès, enserré entre deux assez impressionnantes falaises rocheuses, résultat de l’affaissement d’un cratère. Nous n’en verrons pas grand-chose à notre arrivée, de nuit en « fast ferry » parti avec pas mal de retard de Fogo. Ensuite, il faut rallier notre hébergement à Vila Nova Sintra, la « capitale » (en fait un simple bourg), en taxi avec nos bagages à bord d’un « aluguer », pick-up local, qui nous suit. La route depuis le port grimpe et grimpe sans arrêt ! Elle compte exactement 99 virages pour arriver à bon port : une succession de tournicoti-tournicota qui donne une sensation un peu bizarre vers 1 heure du matin, dans l’obscurité, et ensommeillés nous n’arrivons plus à les compter. Le chauffeur à l’air de les connaître par cœur chacun - nous, non ! - et les gravit à bonne allure.
Le lendemain, nous partons à pied depuis Vila Nova Sintra à la découverte du plateau qui domine l’île. Très vite, en grimpant, nous sommes caressés par des nappes de brumes, qui vont… qui viennent… Malgré ce, la température est très agréable. C’est l’une des particularités de Brava : une île au climat doux, mais dont les hauteurs sont quasiment toujours serties d’une auréole de légers brouillards qui divaguent. Curieuse atmosphère, chaude et humide à la fois.
Le plateau est un très agréable bocage dont les haies sont faites d’hibiscus rouges à foison et où paissent tranquillement des vaches. Il offre une impression de quiétude, faite de ses doux et anciens vallonnements volcaniques joliment ponctués d’écarlate. Tout en haut, au cratère de Fontainhas, une vue à 360° sur la campagne, les brumes mouvantes, les pentes qui dégringolent jusqu’à l’océan.
Près de là : une source d’eau minérale alcaline bicarbonatée et légèrement gazeuse. Son petit goût de vinaigre lui a donné son nom : la fontaine du vinaigre. La citerne pour recueillir l’eau a plus de 100 ans et l’on croise encore sur les sentiers sinueux des enfants qui conduisent les ânes chargés de bidons plein de cette eau, dont le goût est apprécié par les habitants et qui sert aussi à l’irrigation des cultures.
La « ville » de Nova Sintra, toute petite capitale de Brava, est en fait un gros bourg, étagé dans un ancien cratère ouvert sur le large, à 600 m d’altitude, sur un site frais. Elle a été fondée par les colons portugais qui en firent leur lieu de cure d’été. Quelques « sobrados » (voir carnet 1, Fogo/Sao Filipe pour savoir ce que sont ces maisons coloniales) lui donnent de l’élégance, mais sinon, la ville est simplement construite autour de deux avenues principales et d’une esplanade carrée, sur lesquelles sont concentrées banque, poste, bâtiments officiels et magasins. Au-delà de ce quartier, dans les rues transversales qui deviennent rapidement tortueuses, Vila Nova Sintra, posée sur ses gradins champêtres, est une étonnante juxtaposition tranquille de petites maisons traditionnelles aux toits de tuile à quatre pans, aux murs blancs, aux fenêtres à petits carreaux et aux belles cheminées typiques, bordées de fleurs et de petits jardins potagers où picorent des poules. Elles sont aussi cernées par le linge multicolore qui sèche, en permanence, ou plutôt qui voudrait bien sécher… Pas facile : la douce humidité des hauteurs de Brava est permanente. Il paraît que les habitants finissent par descendre le linge au port de Furna pour qu’il sèche, enfin (à défaut de sèche-linge, pas de machines à laver ici non plus, d’ailleurs… !).
Eugenio de Paula Tavares… Pourquoi ai-je envie de vous parler de lui ? Tout d’abord parce que j’ai rencontré sa statue, juste au pied de notre petit hôtel… Forcément, je me suis demandé qui il était.. Natif de Vila Nova Sintra, c’est l’un des compositeurs de « mornas » des plus connus au Cap Vert, un philosophe engagé, autodidacte, un agitateur, même s’il était pourtant fonctionnaire de l’Etat portugais monarchique. Il était à son époque – fin XIXe, début XXe – pétri d’indépendance, hostile aux « maîtres » portugais » et clamait son attachement aux valeurs républicaines. Il a osé dénoncer l’incurie coloniale, la corruption et a essayé avec ses écrits de contrer l’image dégradante communiquée à l’étranger d’un Cap Vert peuplé de mendiants en guenilles. Il fût aussi un poète de l’amour, écrivant en créole pour faire connaître et apprécier la beauté de cette langue. Il a donné à la « morna » son caractère romantique… Brava : île d’amour ! Bref, un personnage attachant, le premier intellectuel capverdien, qui en pleine époque coloniale, eût le courage de soutenir qu’il existe une identité créole. Cette audace qui lui vaudra un exil vers les Etats-Unis. L’on comprend bien ses aspirations lorsque l’on est là-bas, tout particulièrement sur Brava, son île. Aujourd’hui, Brava est toujours une île pauvre, mais dont les habitants ont beaucoup de dignité et luttent au quotidien pour continuer à vivre chichement sur leur modeste terre.
Au fil des étroites petites rues de Vila Nova Sintra, tortueuses, herbeuses, j’ai rencontré des habitants toujours souriants, presque étonnés de voir des étrangers, des enfants joueurs, ravis de de poser pour des photos. Ces photos que j’ai prises et leur ai envoyées ensuite par l’intermédiaire de notre guide… C’est bien peu de chose, en fait.
Pour notre 2e jour de randonnée sur Brava, nous partons à nouveau de Vila Nova Sintra directement à pied et traversons d’abord le hameau de Nossa Senhora de Monte avec ses beaux « sobrados ». Là, dans les hauteurs de l’île, plusieurs chemins et pistes se croisent. Le paysage est sec. Auparavant, de nombreux orangers y fleurissaient, la sécheresse qui gagne de plus en plus l’archipel du Cap Vert les a fait disparaître. La plupart des maisons du village possèdent de grandes citernes où l’eau est recueillie à la saison des pluies et stockée en quantité suffisante pour une année.
Ensuite, nous longeons la « ribeira », la rivière de Faja da Agua (qui n’a plus d’eau en mai). C’est une véritable plongée le long d’une pente caractérielle, qui fait travailler les genoux et finit par mener à l’océan. La descente sera ponctuée d’une petite halte au pied d’un manguier sauvage, pour déguster ses fruits, petits, un peu acidulés, délicieux et rafraîchissants dans la chaleur ambiante.
Faja da Agua, où nous arrivons, est l’une des quatre issues océanes de Brava, une très jolie petite oasis le long d’une baie luxuriante, où dévalent cannes à sucre, bananiers et cocotiers. De pimpantes maisons endormies y attendent les vieux jours à venir d’exilés en Amérique. Et pourtant ce front de mer un peu aisé renvoie les jeunes oisifs à la précarité de leur vie, à la dépendance du mandat qui vient d’outre-Atlantique. Il n’est en effet pas facile de rester vivre sur Brava, cela se sent bien.
La baie de Faja da Agua est bien protégée de la houle. Les navires venaient autrefois y relâcher. Pourtant, le port n’oubliera jamais, en 1943, période de guerre, le naufrage du Matilda, affrété par des émigrés en visite qui avaient alors trouvé Brava en pleine disette. Pressés de repartir vers la sécurité de l’Amérique, ils payèrent les réparations de ce modeste voilier, en mauvais état, qui prit la mer depuis Faja da Agua et ne reparut finalement jamais, laissant dans un deuil tragique les familles des 52 victimes qu’il avait à son bord. Telle a toujours été la vie à Brava faite de modestes joies et de drames de la mer… Notre pause à Faja da Agua sera bien agréable, avec un très sympathique, simple et délicieux déjeuner chez l’habitant, juste au bord de l’océan, calme et bleu, ce jour-là.
Nous retournons à Vila Nova Sintra par la route côtière. Très belle, elle est comme un balcon ouvert sur le nord de l’île et sur le large et nous fait arriver paisiblement dans la ville, profiter des vues sur ses maisons tranquilles, leurs petits jardins.
Au soir, dîner de poissons frais, pêchés à Faja da Agua justement, avec à une table près de nous un quator de musiciens qui passe là la soirée, discute et joue des mornas et autres mélodies capverdiennes. Quand vient « Sodade » (les musiciens nous demandent si nous connaissons Césaria Evora), bien sûr nous fredonnons nous-aussi…
Demain matin, lever à l’aube pour reprendre le bateau, vers Fogo, puis l’avion vers Santiago, avant de partir vers la belle Santo Antao au nord de l’archipel, qui fera l’objet d’un 3e carnet de mes souvenirs du Cap Vert.
Brava, la tout petite,… pas très connue, ni très courue non plus, est sans doute la plus dépaysante des îles du Cap Vert. Très, très différente de sa voisine Fogo, elle mérite vraiment de lui consacrer quelques jours et de se laisser aller à sa langueur, de s’imprégner de son atmosphère particulière faite d’une pauvreté palpable, d’épopées maritimes et de rêves d’émigration, et aussi de l’attachement à cette terre de ceux qui restent… là. Je l’ai aimée, elle aussi
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